Science, conscience, éthique : l’articulation est difficile, l’équilibre est précaire et tellement humain. Redoutablement humain !
Rabelais en faisait déjà le constat et en soulignant que les faiblesses de l’humain étaient réelles mais qu’en avoir conscience le poussait à s’approprier des limites pour progresser. C’est son fameux « science sans conscience n’est que ruine de l’âme »
Les lois bioéthiques ont cette fonction : nous devons être sages et cette sagesse nécessite de savoir ce que la science peut, et ce que nous, humains, pouvons accepter. Vaste ambition !
Nos manques, nos imperfections, nos fragilités font l’humanité : c’est vertigineux et ambitieux mais le législateur ne peut se dérober.
Dans ce domaine, il ne faut ni honnir, ni banaliser, ni leurrer.
Le possible (ce que la science permet) n’est pas le probable (ce que la société peut accepter), et encore moins le réalisé, (ce que la loi autorise).
Comme le soulignait Madame la Ministre de la santé Agnès BUZYN : « Peu de pays mènent cette réflexion parce qu’elle nécessite à la fois la capacité à déployer les techniques médicales dont il est question, un régime politique démocratique stable, et une volonté collective de défendre une certaine vision de la liberté, de l’humanité et de la solidarité ».
Il nous revient donc dans le texte de loi qui est présenté à l’assemblée, de poser des limites purement humaines aux évolutions de la science. Il ne s’agit pas seulement de limiter mais aussi d’ouvrir, d’espérer, de progresser. C’est avant tout une loi d’ouverture et de confiance que nous examinons aujourd’hui.
La révision périodique des lois bioéthiques nous permet de nous poser ces questions collectivement. Pour que cette démarche soir fructueuse elle nécessite :
Des débats certes,
De l’apaisement, à n’en pas douter,
Et beaucoup de respect.
C’est cet esprit qui a présidé aux travaux de la commission spéciale que j’ai eu l’honneur de mener. Cette sérénité nous a permis, je crois, d’avoir une écoute active, notamment lors des auditions. Sans prétendre à l’exhaustivité, elles nous ont néanmoins permis de préciser nos pensées, de les faire évoluer parfois. Ce fut un lieu où tous les points de vue, fussent-ils différents, contraires et parfois opposés, ont été entendus. Aucune idée, aucun point de vue n’a été disqualifié d’emblée. C’était nécessaire, nous le devions à notre institution et aux français.
Je gage que cet esprit règnera également sur nos débats en hémicycle ;
Ce texte, tel qu’il vous est présenté aujourd’hui, aborde donc plusieurs domaines que je ne listerai pas de façon exhaustive. 32 articles composent ce texte, tous importants, tous attendus, dont aucun n’est superflu.
Les rapporteurs vous ont présenté l’essentiel des dispositions et je les en remercie, tout comme je les remercie vivement de leur travail fourni, intense, patient, qui nous a permis collectivement une écoute et un climat serein comme je le souhaitais.
Les administrateurs ont également contribué à la qualité de notre travail et je les en remercie eux aussi très sincèrement et chaleureusement.
Le premier article de ce texte, celui qui a aussi cristallisé le plus de positions différentes, c’est l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux femmes seules et aux couples de femmes.
Donner la vie à un enfant, procréer, c’est un désir instinctif arguent certains….
Peut-être… Je me garderais bien cependant de parler de « désir naturel » faisant passer les femmes et les hommes qui ne souhaitent pas accueillir d’enfant pour des êtres qui ne seraient pas naturels !
Mais si l’on admet qu’enfanter est un désir, alors doit-il être comblé ? Doit-il être comblé à tout prix ou devons-nous, nous, êtres humains, accepter la frustration et la douleur intense, alors que la science permet de passer outre ?
Les aspirations individuelles légitimes restent des aspirations personnelles, ou des aspirations de couple. Ce texte nous fait passer d’aspirations personnelles ou de couple, à un cadre législatif, par nature collectif. Ces aspirations personnelles mettent en cause la société, elles sont le résultat d’une rencontre voire d’une tension entre aspiration individuelle et société.
Pour autant le désir des parents ou potentiels parents ne doit pas supplanter celui de l’enfant à naitre. Il est à considérer, à prendre en compte, à évaluer, à accompagner mais à aucun moment l’enfant ne doit être oublié. Placer l’enfant au centre du débat fût le souci constant de nos échanges.
Aujourd’hui les études, les entretiens nous permettent, ME permettent, de conclure que la PMA doit être proposée aux femmes seules et aux couples de femmes parce que les enfants issus de ce désir et venus au monde à l’aide de la science, sont heureux. Désirés et portés avec amour ils évoluent comme les autres enfants : ni plus, ni moins. Etre parent c’est difficile, enthousiasmant, merveilleux, quelles que soient les conditions de la naissance de l’enfant. Accompagner un enfant, c’est le travail d’une vie qui ne peut être mu que par l’amour et cet amour ne dépend pas du mode de conception ! Les enfants ainsi accueillis, puiseront dans la diversité de leur entourage les matériaux, matériels, psychiques, symboliques, pour se construire dans un modèle certes différent, mais pas inférieur.
C’est pourquoi aujourd’hui science et éthique se retrouvent, selon moi, dans cette ouverture de l’AMP aux femmes seules ou aux couples de femmes.
Gardant en tête constamment et prioritairement l’intérêt de l’enfant, je ne peux néanmoins accepter la légalisation de la PMA post mortem. En effet faire porter sur l’enfant le poids d’un projet parental d’un défunt ne me parait pas souhaitable.
Nos débats ont aussi porté sur la filiation.
Sur ce sujet, la commission a pleinement joué son rôle, puisqu’à la lumière des auditions, les positions de nombre d’entre nous ont évolué pour arriver à proposer à vos votes un texte qui fait de l’expression de la volonté de parentalité, le point central de la filiation tout en ne stigmatisant pas un mode de procréation. La filiation basée jusqu’alors sur le mimétisme biologique, reposera sur le rôle accru voire unique, de la volonté ! C’est en tout cas une direction que j’approuve.
La levée de l’anonymat sur les dons de gamètes a, elle-aussi, posé beaucoup de questions. Même si les travaux des psychologues nous ont montré et démontré que le secret dans les familles était délétère pour les enfants, la transparence absolue et inconditionnelle pose elle aussi des problèmes
• La transparence doit-elle être une possibilité
• La transparence doit-elle être une nécessité ?
• Ou bien la transparence doit-elle être une injonction.
Le projet de loi autorise en effet les personnes nées d’assistance médicale à la procréation avec un tiers donneur à accéder aux données non identifiantes ainsi qu’à l’identité de leurs donneurs de gamètes ou d’embryons. Il conditionne le don au consentement du donneur à ce que l’enfant puisse accéder à ses données non identifiantes et à son identité, à sa majorité.
Nous voyons bien que sur de nombreux sujets de procréation, l’information doit être renforcée, non pour stigmatiser les femmes qui retardent de plus en plus l’âge de la première grossesse, mais pour informer des risques de ces délais pour en toute conscience mener à bien ses projets de tout ordre : professionnels, personnels ou de parentalité. C’est le sens de l’amendement qui a été coconstruit par les membres de la commission et qui, s’il est adopté ce que j’espère, améliorera l’information des français, tant en matière de risque sur les grossesses tardives, que sur la fertilité et notamment sur ses causes plurifactorielles, environnementales par exemple.
Les discussions ont abordé également le DPI diagnostic préimplantatoire ; elles ont aussi permis à beaucoup de membres de la commission d’écouter des scientifiques et des familles. Le texte n’en prévoit pas la légalisation.
Pour autant, là encore le chemin de crête est étroit entre la possibilité pour la science d’éviter des naissances d’enfants porteurs d’un handicap, et la raison humaine qui nous fait accueillir la différence en ne choisissant pas qui a le droit de naitre ou pas.
Sur la Recherche sur cellules souches, ce texte était aussi attendu par les professionnels. Alors que notre pays a fait le choix clair, déterminé, de s’engager dans la recherche sur les embryons et les cellules souches, l’une des dispositions vise à distinguer le régime juridique relatif aux recherches portant sur l’embryon de celui portant sur les cellules souches.
S’agissant du don d’organes, ce texte apporte une réponse à nos concitoyens pour lesquels la solidarité est un enjeu de survie. Il desserre donc les conditions du code de la santé publique, relatives à l’articulation entre le prélèvement sur un donneur vivant et la transplantation.
Ce texte de loi est riche de ce qu’il comprend et de ce qu’il ne comprend pas et en l’occurrence dans ce projet de loi ne figure pas la Gestation Pour Autrui ni la méthode dite de réception d’ovocytes de la partenaire (ROPA), et je l’approuve. En effet, le corps de la femme ne peut être utilisé, d’aucuns diront aliéné, sans passer une barrière que notre éthique à la française réprouve à juste titre. Je me félicite donc que la loi reste ferme sur ces deux points.
Le travail de la commission aura donc été riche et nous permet d’aborder en hémicycle le débat avec beaucoup d’informations, beaucoup de données qui viendront éclairer notre jugement. La genèse de ce texte a été marquée par une mobilisation citoyenne importante durant les états généraux de la bioéthique, par une étude du Conseil d’Etat, par le rapport de la mission d’information instituée par la Conférence des présidents, les rapports de l’OPECST et ceux de l’Agence de la biomédecine.
Loin d’être des décisions faciles, les modifications que nous apporterons devront être guidées par des données concrètes, chiffrées, rationnelles mais aussi par des éléments plus subjectifs liés à nos rencontres, notre vécu, nos convictions : légiférer avec notre intime conviction c’est un écueil si l’on s’y engouffre sans raison, mais cela devient une force si nous l’éclairons de l’éthique.
C’est la force de notre si belle et précieuse démocratie représentative.
Elle nous y encourage : Sachons-nous en montrer dignes !
( seul le prononcé fait foi)
